« Trop payés », « juste 11 types qui courent derrière un ballon », « simulateurs »… Tout passionné de football a déjà dû défendre son sport favori devant ces sempiternelles critiques au moins une fois dans sa vie (plus réalistement, une fois par semaine). Les footballeurs, et les staffs qui les entourent, ne produisent pas de nourriture, ne sauvent pas de vie, ne bâtissent pas de logements. Leur apport à la société est pourtant indéniable, c’est celui du divertissement. À ce titre, le footballeur est aussi indispensable que le chanteur, l’actrice ou l’auteur, rémunéré en fonction d’un talent rare, à hauteur des émotions procurées.
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En agissant sur notre moral, le footballeur a donc un rôle moral. À l’instar de ses homologues artistes, le footballeur est adulé, starifié et devient un exemple, un symbole… Qu’il le souhaite ou non. Quand on applaudit l’auteur d’une frappe en lucarne, on applaudit un individu dans son ensemble. Et devant l’impossibilité de « séparer l’homme de l’artiste », peut-on décemment demander au public de chanter le nom d’un homme violent, d’une personne raciste ou coupable d’autres méfaits ?
Atal, Greenwood… Le fossé entre discours et recrutement
Alors que le monde du cinéma tente, douloureusement, de se sortir de cet écueil depuis quelques années, celui du football semble s’y précipiter, à contretemps. Un club de Ligue 1, l’Olympique de Marseille enchaîne les pistes douteuses. Cela a commencé avec l’ouverture de discussions avec l’ancien latéral de l’OGC Nice, Youcef Atal, condamné pas plus tard qu’en janvier dernier pour incitation à la haine à raison de la religion, en opposition avec l’image de cosmopolitisme renvoyée par la cité phocéenne et des valeurs d’humanisme qu’on espère être universelles.
Le maire de Marseille en personne, Benoît Payan, a choisi d’interpeller le club. « Il n’y a pas de place pour ce genre de débordement. Que l’on soit juif, musulman, chrétien ou athée, on est tous dans le stade, on a tous la même ferveur. Si on n’a pas ces valeurs alors on a rien à faire sous le maillot de l’OM ». Sous l’effet de la polémique, l’OM a freiné sur ce dossier.
En revanche, rien ne semble pouvoir ralentir le train Mason Greenwood, et encore moins d’arriver jusqu’à la gare Saint-Charles. En janvier 2022, l’attaquant de Manchester United est arrêté à son domicile, après la publication par sa compagne, Harriet Robson de photos de son visage ensanglanté. Dans la foulée, un enregistrement audio est également publié, dans lequel on entend Mason Greenwood lui imposer une relation sexuelle non consentie. En octobre de la même année, il sera inculpé pour « tentative de viol et coups et blessures volontaires » par la justice britannique, avant un procès… qui n’aura jamais lieu. Ni condamné, ni innocenté, Mason Greenwood voit les charges retenues contre lui tomber, en février 2023, en raison du retrait de témoins-clés. Entretemps, le couple s’est réconcilié et a conçu un enfant pendant que Greenwood était sous contrôle judiciaire. Ce dernier n’a plus disputé la moindre minute avec Manchester United. Le club, après une enquête interne, détermine qu’il serait plus approprié que le joueur qui a « reconnu des erreurs » continue sa carrière loin d’Old Trafford.
Jérôme Boateng à l’OL, Benjamin Mendy à Lorient : les clubs ne reculent pas
Pas condamné mais pas non plus innocenté, le joueur est devenu un dossier encombrant pour les Red Devils qui souhaitent s’en débarrasser. C’est à ce moment qu’interviennent l’OM et son président Pablo Longoria, prêts à débourser 30 millions d’euros pour le problématique Greenwood. Cette fois, pas d’intervention politique, pour le moment. Une frange de supporters s’est mobilisée contre le transfert qui semble approcher. Le club phocéen ne semble pas parti pour reculer et va plutôt suivre « l’exemple » de l’Olympique Lyonnais, qui n’avait pas hésité à recruter Jérôme Boateng empêtré puis condamné dans une affaire de violences conjugales.
Comme pour ses rivaux, le grand écart est impressionnant pour l’OM qui, par le biais de sa fondation, a voulu donner l’exemple en matière de lutte contre les violences conjugales, en partenariat avec l’association SOS Femmes 13.
#COVIDー19 : @Prefet13 et @OM_Officiel ensemble dans la lutte contre les #ViolencesConjugales.
L’Etat met dans le @departement13, 193 places d’hébergement à disposition des #victimes et de leurs enfants, l’@OM_Officiel offre 46 places supplémentaires. #ConfinementJour34 pic.twitter.com/pRpObI4Mxo— Préfet de la région PACA et des Bouches-du-Rhône (@Prefet13) April 19, 2020
S’il n’est pas question de remettre en cause la sincérité de l’action prise à l’époque, le décalage frappe entre les prises de positions « RSE » (Responsabilité sociétale des entreprise) et les prises de décisions sportives. Soudainement, seule la compétition compte. Le nombre de buts et de passes décisives l’emporte sur les valeurs prônées et l’émotion que pourraient ressentir une femme victime de violences en voyant Mason Greenwood porté aux nues. Oubliée les fonctions émotionnelles et morales du football, sans lesquelles, on le rappelle, notre sport favori ne vaut pas grand-chose.
En omettant que le football ne vaut pas que par ses résultats, certains acteurs du jeu se risquent à scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Pour des raisons infiniment plus légères, liées à la qualité du jeu, certains d’entre eux ont récemment invité les téléspectateurs à changer de chaîne si le spectacle ne leur convient pas. C’est afficher une grande confiance et oublier que ce sport est un divertissement parmi d’autres, qui manifestement s’avère être dur à vendre et qui est susceptible de disparaître s’il ne fait pas l’effort d’être attrayant, exemplaire ou respectable.
MÀJ 19h57 : le maire de Marseille, Benoît Payan a également réagi au possible recrutement de Mason Greenwood ce mardi au micro de RMC : « Massacrer sa femme de cette manière-là est indigne d’un homme et je crois qu’il ne peut pas avoir sa place dans cette équipe-là […] Je demanderai au président de l’OM de ne pas recruter Greenwood. »
Photo ©Bagu Blanco / Pressinphoto / Icon Sport