Comme chaque année, le mercato estival a considérablement transformé les effectifs des clubs de Ligue 2. Une période de plus en plus importante dans la réussite d’une saison, entre recherche de la perle rare, d’hommes d’expérience ou de joueurs à la relance afin de créer une alchimie convaincante sur le terrain. Fin connaisseur du mercato, Edouard Chabas, de l’agence Esterela Football Agency, nous livre son regard sur le métier d’agent et sur les coulisses de l’intersaison.
MaLigue2 : Le mercato estival a fermé ses portes le 31 août, comment se déroule le quotidien d’un agent pendant cette période ?
Edouard Chabas : La première chose à savoir, c’est qu’on reste toujours actifs même après la fermeture car il y a encore des joueurs libres qui peuvent s’engager après le 31 août. De manière paradoxale, le téléphone sonne beaucoup évidemment pendant cette période, mais le plus gros du travail a été effectué en amont. Le mercato, c’est peut-être le moment où l’on bosse le moins car les dossiers ont été présentés avant, quand on a bien préparé le terrain tout au long de l’année auprès des clubs. On sème à droite, à gauche nos pistes, et puis quand on suit des joueurs depuis un, deux ou trois ans, derrière c’est plus facile car on a réussi à fidéliser nos relations. On discute avec les dirigeants, les directeurs sportifs, les coachs ou les recruteurs, et ce sont souvent eux qui derrière reviennent vers nous pendant l’été. Par exemple : Anatole Ngamukol, je l’ai proposé à l’intégralité des clubs de la Ligue 2 il y a deux ans. Seul le Red Star a tenté le coup. Il a fait une bonne saison et cet été, d’autres clubs étaient intéressés par son profil pendant ce mercato.
Comment s’est comporté le marché des transferts cette année en Ligue 2 ? Vous a-t-il semblé plus ouvert, ou plus frileux que par le passé ?
Je trouve que dans l’ensemble, ça a bien bougé cette année. D’autant que le marché de la Ligue 2 est particulier. Il n’y qu’entre 0 et 5% de transactions chiffrées réalisées en L2. Tout le reste, ce sont des joueurs partis libres, en fin de contrat ou des prêts. Prenons l’exemple de Kevin Fortuné : Lens l’a acheté en National à Béziers, mais contre une petite indemnité de transfert. C’est la tendance. Et ça existait moins avant. Désormais, la Ligue 2 regarde plus vers le National pour tenter de « faire des coups », c’est à dire trouver un joueur peu cher et le revendre s’il explose pendant la saison. On a vu cela avec Faïz Selemani, que Niort avait recruté à Marseille-Consolat avant de le transférer à Lorient en L1 cet été. Sinon, les clubs essaient de former leurs propres joueurs pour suivre le même modèle. Pour le reste, les prêts de jeunes joueurs sont moins recherchés, les clubs privilégient plutôt des joueurs d’expérience pour ce niveau.
« Le bon joueur de Ligue 2 a besoin d’un coup de pouce »
Comment vous êtes-vous orienté vers cette carrière d’agent de joueurs ?
Un petit peu par hasard. J’étais un ancien joueur, recalé du centre de formation de l’OL. Comme un jeune normal, j’ai suivi des études de commerce et de droit. Puis je me suis spécialisé dans le droit du sport, dans lequel il y avait différents parcours juridiques. J’ai ensuite effectué un stage d’un an en Angleterre pour découvrir ce métier d’agent. Les gens voient tout de suite le côté opportuniste de l’agent, alors qu’il est indispensable aujourd’hui pour accompagner les joueurs, surtout en Ligue 2. Car en Ligue 1, il y a plus de lumières médiatiques. Un joueur comme Valbuena aura évidemment des propositions de clubs. A l’étage inférieur, c’est plus compliqué de se faire connaître, et le bon joueur de Ligue 2 a besoin d’un coup de pouce.
Quelles ont été les difficultés rencontrées au début dans votre activité ?
Cela fait maintenant huit ans que je suis agent. Au début, j’ai eu la chance de faire autre chose à côté, donc j’ai touché zéro commission pendant les deux premiers mercatos. Je voulais surtout travailler le plus proprement possible avec mes joueurs. Puis ensuite, j’ai pris peu à peu le rythme d’une année. C’est vrai qu’au début, j’avais mal fait le travail préparatoire et de relance hors période de mercato. Et puis, la Ligue 2 est très particulière et il faut connaître ses spécificités : la moitié des clubs n’a pas de cellule de recrutement. D’autres clubs supervisent eux-même les joueurs dans plusieurs régions avec des réunions mensuelles ou trimestrielles. Parfois, il faut contacter directement le directeur sportif. Cela vient avec le temps. Pour avoir une bonne négociation, mieux vaut être chassé que chasseur, qu’on veuille recruter votre joueur plutôt que d’essayer de le placer. Aujourd’hui, je vois des agents qui débarquent car ils connaissent quelques personnes dans le milieu et qui ne tiennent que trois ou quatre ans car c’est compliqué.
« Le but n’est pas de survendre un joueur »
Comment se déroule ce travail de préparation aux mercatos ?
J’essaie d’être le plus transparent possible avec les clubs. Quand je leur propose un joueur, je leur explique pourquoi il peut leur correspondre. Je mets en avant ses qualités, mais je présente aussi ses axes de progression. Le but n’est pas de survendre un joueur pour qu’il se plante derrière. Moi, ça ne m’embête pas qu’un club puisse se tromper sur un joueur, car parfois certains s’expriment très bien dans tel club, mais ça ne marche pas au même niveau dans un autre club. On ne peut pas tout maîtriser. En revanche, je veille aussi à ce qu’il n’y ait pas de problème dans le comportement au niveau du vestiaire. Aujourd’hui, les clubs veulent connaître les situations familiales des joueurs et leur entourage, savoir s’ils sont mariés, s’ils ont des enfants à scolariser etc. Ils posent beaucoup de questions et je ne veux pas me tromper là-dessus car derrière c’est l’image de l’agence qui en prend un coup.
Vous faites partie de l’agence Esterela Football Agency, comment cela s’organise-t-il ?
Nous sommes quatre collaborateurs au sein de l’agence, dont une personne spécialisée chez les jeunes joueurs afin de compenser les départs de ceux qui arrêtent leur carrière. Aujourd’hui, nous accompagnons une trentaine de joueurs, et tout cela se déroule naturellement. On commence à avoir une renommée sympathique et nous recevons désormais des sollicitations des joueurs. On a la chance de pouvoir choisir avec qui on veut travailler. Si l’homme, au-delà du joueur, ne correspond pas à nos attentes, on ne va pas plus loin avec lui. On s’assure aussi que ce sont bien des joueurs libres, car nous ne sommes pas là pour piquer des joueurs à d’autres agents.
Y’a-t-il une grosse concurrence entre agents sur le marché de la Ligue 2 ?
Oui elle est très importante, car il n’y a pas moins d’agents en Ligue 2 qu’en Ligue 1. Certains sont là depuis un bon bout de temps, et il y a parfois danger avec certains agents qui ne tiennent que trois ou quatre ans. Dans ces cas-là, les joueurs se tournent ensuite vers une agence aux structures solides. Je pense aussi que c’est une erreur pour les joueurs de ne pas se fixer avec un agent. Par exemple dès le moi de mai, je sais déjà quelles sont les attentes des clubs de Ligue 2 et quels profils de joueurs sont recherchés. On épluche tout, et c’est en cela que nous sommes importants pour aider les joueurs.
Propos recueillis par Dorian Waymel