Ils ne font pas souvent partie des sélections lors des votes pour le Top But. Difficile de trouver leur nom quand surgit la liste des joueurs du mois en Ligue 2. Moins mis en avant que leurs collègues attaquants, défenseurs ou gardiens où chaque exploit -ou boulette- est scrutée, les milieux défensifs sont ces travailleurs de l’ombre indispensables à toute formation. Plongée au cœur de l’entrejeu et de ce rôle si particulier de récupérateur.
Octobre 2013. Lorsqu’on demande à Régis Brouard, alors entraîneur de Clermont, s’il peut choisir un joueur de Lens pour son effectif, le technicien auvergnat n’hésite pas une seconde : « Jérome Le Moigne. Je l’avais contacté il y a deux ans. Je trouve que c’est un élément important dans l’équilibre d’une équipe. Il représente quelque chose dans son comportement et son attitude. Le fait qu’Antoine Kombouaré lui ait laissé le brassard de capitaine est aussi un signe fort. » Pas un attaquant capable de « tuer » un match. Pas un gardien capable de parades décisives. Non, Régis Brouard loue la qualité d’un joueur pourtant plus souvent dans l’ombre que la lumière, habitué aux duels âpres des milieux de terrain sur les pelouses de Ligue 2.
La deuxième division, ce championnat si homogène, où gagner la bataille de l’entrejeu se révèle souvent plus important que détenir un ou deux cracks. « Un ancien entraîneur disait : ‘Il y a les joueurs qui peuvent te faire gagner un match, et ceux qui te ne les font pas perdre‘ », témoigne Jean-Marc Furlan, ancien entraîneur de Troyes avec qu’il a connu 3 montées en Ligue 1. « En L2, il y a moins de joueurs de talents capables de faire la différence à eux seuls. Des Lacazette ou des Ousmane Dembélé, on en trouve peu à ce niveau. Donc beaucoup de rencontres se jouent au milieu. Et pour un coach ça devient vite une obsession de remporter le cœur du jeu. Et c’est aussi vrai jusque dans les matchs de Coupe d’Europe.«
Baradji : « Avec l’âge, tu sais exactement où le ballon va tomber »
Le « 6 » est donc un rouage essentiel. Mais quel est son véritable rôle sur le terrain ? « Il a évolué au fil des années« , pose d’emblée Anthony Gonçalves (30 ans), l’expérimenté capitaine du Stade Lavallois avec 200 matchs de L2 au compteur. « Il n’est plus uniquement consacré à la tâche défensive, à récupérer et à vite transmettre aux attaquants. C’est aussi devenu un atout offensif en phase de transition. Il doit être capable d’être aux abords de la surface ou de centrer désormais. Mais tout en étant le garant de l’équilibre de l’équipe. Il doit donc posséder du coffre physiquement car si l’action offensive se termine mal, il doit savoir se replacer très vite« .
Même discours pour le Valenciennois Sekou Baradji. Et le joueur de 31 ans apporte lui une autre dimension primordiale au poste : l’expérience. « Bien sûr il faut avoir une grosse VMA (vitesse maximale aérobie, qui indique le niveau d’endurance d’un joueur, ndlr) et aimer se sacrifier pour les autres. C’est un rôle clé, où on touche énormément de ballons et où il faut savoir lire le jeu. Et franchement jouer « 6 » à 30 ans, tu savoures ! Quant tu es jeune, tu es souvent très fougueux, et tu es en apprentissage. Je le ressens, je prends encore plus de plaisir aujourd’hui au milieu avec VA qu’avant à Dijon. Avec l’âge, tu sais exactement où le ballon va tomber. Et il y a des zones du terrain où tu sais qu’il est impossible que tu perdes le ballon. Après, il faut aimer le duel évidemment.«
Furlan : « Le récupérateur doit prendre au moins 70% des ballons aériens »
Le duel, un élément central. Mettre « la tête où l’adversaire mettrait le pied« , comme le rappelle Gonçalves, se faire respecter sans tomber dans l’excès d’engagement et des cartons rouges fait partie de l’éventail des qualités attendues à ce poste. Baradji toujours : « A mes débuts au Mans, je jouais plutôt milieu gauche pour percuter et envoyer des centres. Mais j’aimais déjà jouer de temps en temps dans l’axe. Puis mon passage en Angleterre (Reading, West Ham) m’a transformé. Avant, j’étais un peu frêle. J’ai compris là-bas ce qu’était un joueur « box to box ». Au niveau de l’intensité sans le ballon c’est autre chose. Il faut sans cesse harceler le porteur adverse et ne jamais rien lâcher. » Si la dimension physique est non négligeable, est-il nécessaire d’être très costaud pour autant pour occuper ce poste ? Jean-Marc Furlan réfute : « Le récupérateur n’a pas forcément besoin d’être très grand. Mais il doit disposer d’un excellent jeu de tête et prendre au moins 70% des ballons aériens. On peut prendre l’exemple de Lassana Diarra, qui est parfait à ce poste. Il faut quelqu’un capable de détruire le jeu adverse, et c’est ce qu’un entraîneur regarde en premier chez le milieu défensif. Après s’il est en plus doué pour ressortir proprement les ballons, c’est encore mieux évidemment.«
Lassana Diarra, un modèle et un exemple également pour Sekou Baradji par ses qualités de leader sur le terrain. « Il n’a pas joué pendant 1 an et demi et pourtant c’est le patron. Revenir comme ça, avec une telle énergie, chapeau ! A Valenciennes, je me considère aussi comme un leader sur le terrain et ce poste le demande. Ça ne sert à rien de faire de grands discours dans le vestiaire si derrière tu n’es pas exemplaire dans l’engagement. » Et si Baradji aime depuis tout jeune évoluer à ce poste, Anthony Gonçalves n’était pas destiné à ce rôle de l’ombre au départ. « C’est venu au fil de la formation avec Denis Zanko (l’entraîneur de l’équipe première) déjà à l’époque. Il a décelé en moi des qualités pour répéter les efforts et pour aller au charbon. Je ne suis pas sûr que les jeunes rêvent d’être 6 avec les stars d’aujourd’hui comme Messi, Ronaldo ou Neymar. Mais chaque formation a besoin de joueurs capables de se dépouiller pour les autres. Je ne suis pas adepte du discours « c’est l’attaquant qui fait gagner un match » car derrière presque chaque action il y a eu un bon pressing ou une bonne passe auparavant.«
Gonçalves : « J’ai besoin de liberté »
Et si ce poste souffre d’un certain manque d’exposition, Sekou Baradji ne s’en formalise pas. « Un bon connaisseur va savoir que le rôle de récupérateur est précieux. Et même que les coéquipiers se rendent compte de l’importance de ce poste. Car sans milieu de terrain tu n’es rien. Si ton milieu craque en Ligue 2, tout le monde craque. » Anthony Gonçalves n’imagine lui tout simplement pas changer de position sur le terrain, même si certains de ses homologues reculent et finissent défenseurs centraux avec l’âge. « Jouer derrière c‘est totalement différent, c’est plus stable sur le terrain. Bon après si le coach me le demande je le ferai (rires). Ce serait un devoir vis-à-vis du collectif. Mais j’ai besoin de liberté. »
Dorian Waymel