L’AC Ajaccio a lancé il y a quelques semaines avec l’entreprise Give in Sport sa campagne de fan funding, une première en France. Après un premier ressenti sur cette démarche, nous avons convié le co-créateur de Give in Sport, Boris Bergerot et Anthony Alyce, créateur du site Ecofoot, pour décrypter cette action totalement novatrice en Ligue 2.
Du fanfunding, pas du crowdfunding !
« Il s’agit de financement par les fans, la différence avec le crowdfunding c’est qu’il n’y a pas de porteur de projet et que nous n’offrons pas de contrepartie à la donation. On fixe tout de même un objectif qu’on pense atteignable« , précise Boris Bergerot. Aucune contrepartie n’est donc prévue. « Je pense qu’à partir d’un certain niveau de don, il sera important de récompenser le supporter, quitte à réduire la marge, suggère Anthony Alyce. Ca poussera le supporter à augmenter son don et le valorisera par rapport aux autres. » Give in Sport, jeune entreprise encore en phase de rodage, n’élude pas cette possibilité : « On réfléchit à proposer des actions pour ces donateurs, il n’y a rien de défini aujourd’hui mais on y travaille déjà conjointement avec l’AC Ajaccio. La notion de « contre-partie » est en fait assurée par chaque club. En effet, l’objectif de Give in Sport étant de pouvoir reverser le maximum de la collecte au club, ce dernier, s’il le souhaite, mettra en place quelques actions destinées à ses donateurs. L’ACA va très prochainement récompenser ses supporters-donateurs avec un système de graduation en fonction du montant du don (remerciement, invitation aux matchs, carte VIP, inscription du nom du donateur dans le tunnel des joueurs…) . »
Cette arrivée du fan funding est en tout cas accueillie positivement par notre spécialiste économique d’Ecofoot.fr : « J’ai un a priori plutôt positif sur cette proposition d’aider directement les clubs, via un modèle en plein essor notamment dans les pays anglo-saxons. C’est une solution innovante pour améliorer la compétitivité des clubs. On en entend souvent parler mais on ne voit pas beaucoup de solutions sortir des débats et nombreuses études. Le gros avantage de ce modèle est qu’aucune autre activité d’un club ne permet de générer 90% de marge, comme le propose GiveinSport.«
Cela ne revient donc pas au même que d’acheter une écharpe ou se rendre au stade ? « Non, car 90% de l’argent est reversé aux clubs. Et on enlève toute contrainte géographique pour le supporter, il est ouvert à tous et pas seulement aux gens qui vont au stade, » ajoute Boris Bergerot. « On essaye d’apporter une solution dans un monde où de nouveaux investisseurs mécènes arrivent, pour des petits ou moyens clubs qui ont une carte à jouer et veulent continuer à exister sur la carte nationale du football. On est dans une économie du sport, où la compétitivité est de plus en plus rude. On veut éviter que certains bons joueurs formés en France soient immédiatement aspirés par l’étage supérieur pour la Ligue 2, et l’international pour la Ligue 1. Le football français n’a pas le modèle de formation des allemands, du coup il faut imaginer d’autres solutions.«
Pourquoi l’AC Ajaccio ?
Boris Bergerot assure avoir « contacté l’ensemble des dirigeants de Ligue 2. Certains clubs sont ouverts à toute nouvelle forme de financement, pas mal de clubs de Ligue 2 galèrent avec des budgets de quelques millions d’euros. Depuis que l’on a lancé l’opération avec l’AC Ajaccio, les supporters valenciennois, sochaliens, dijonnais, nîmois ou lensois commencent à s’y intéresser de près. A Ajaccio, les supporters ont commencé à faire des dons qui vont de 20 à 300 euros. »
Anthony Alyce n’est pas surpris que l’AC Ajaccio ait fait le grand saut, et souligne l’opportunisme du club insulaire : « Ce modèle du fan funding correspond particulièrement à des clubs ayant un niveau sportif supérieur à leur potentiel économique. On rentre exactement dans le profil de l’AC Ajaccio. C’est un club qui a grandi assez rapidement, peut-être trop. Il a atteint la Ligue 1 sans avoir les infrastructures permettant cette ascension. C’est très dur de grandir si vite, sans pouvoir pérenniser le club. Le surplus généré a été plutôt investi dans le recrutement de joueurs, avec un objectif à court terme de se maintenir en Ligue 1, ce qui je pense était le seul moyen de pouvoir se maintenir le plus longtemps possible en Ligue 1.«
Un club qui a tout de même commis des erreurs stratégiques, d’après Philippe Dard pour MaLigue2 : « Prenons l’exemple de Dijon, jeune club également, qui est monté en Ligue 1 en 2011-2012 de manière assez imprévue. L’échec a immédiatement servi de leçon et on a constaté une stratégie de ne pas remonter dans l’élite avant d’être prêt. Quand Dijon retournera en Ligue 1, ce sera avec un nouveau centre d’entraînement-formation, un nouveau stade, une stratégie économique construite à long terme. Je n’ai pas l’impression de voir ça, hormis peut-être ces derniers mois, du côté de l’AC Ajaccio.«
Anthony Alyce apportant une nuance économique entre ces deux clubs : « Je pense qu’il s’agit de deux exemples différents. Dijon peut s’appuyer sur un tissu industriel et économique plus dense sur son territoire. L’ACA est effectivement en train de prendre un nouveau virage avec un revirement cet été, la stratégie de fan funding est cohérente dans le timing. C’est un bon signe économique, de montrer cette volonté de faire de nouvelles choses. Le club essaye de se mobiliser pour ne pas réitérer les erreurs du passé. Je préfère voir ça qu’un club statique, qui n’essaye pas d’avancer. »
Quels clubs sont concernés par le fan funding ?
Les trois intervenants s’accordent à dire que ce modèle ne pourra pas fonctionner pour tous les clubs. Boris Bergerot est conscient que « des clubs et des supporters seront plus réactifs par rapport à notre service. Nous n’aurons pas 100% de réussite sur les clubs couverts. Chaque supporter sera toujours libre de faire ce qu’il veut, aller au stade, acheter un maillot, faire un don…ce ne sont pas des choses qui s’opposent.«
Anthony Alyce : « Ce modèle là ne va pas convenir à tous les clubs. Ceux qui ont d’importants investisseurs à leur tête comme Paris ou Monaco n’en ont pas besoin. Mais plutôt les clubs qui peuvent connaître des difficultés sportives ou économiques ponctuelles. Pour qu’il fonctionne, il faut qu’un phénomène de masse s’enclenche. Des succès à l’étranger sont notables comme à Portsmouth où le club avait levé 260 000 livres pour son centre de formation, ou le CS Sfax en Tunisie qui avait financé un nouveau bus pour ses déplacements. Mais cela ne va marcher que si les supporters sont contents de la politique sportive du club. «
Un chèque en blanc à la direction du club ou un droit de regard sur la politique sportive ?
C’est l’un des points cruciaux du projet, sur lequel Philippe Dard note une limite : « Bourg est le plus petit budget de Ligue 2, et se hisse tranquillement en milieu de tableau. Nancy est interdit de recrutement et voit sa masse salariale encadrée, ce qui ne l’empêche pas d’être leader haut la main. J’ai du mal à voir l’intérêt de cet outil pour des clubs qui travaillent bien, ont une gestion saine, un projet de développement et des personnes compétentes aux postes clés.«
Boris Bergerot apporte un élément de réponse : « Pour les clubs bien classés qui n’ont pas de gros budget, c’est un moyen supplémentaire de conserver leurs meilleurs joueurs. S’ils partent en fin de saison, le club risque d’avoir des difficultés sportives l’an prochain. S’ils ont quelques centaines de milliers d’euros en plus, ils pourront plus facilement réinvestir et rester compétitifs.«
Une crainte soulevée par Philippe Dard réside dans le fait que le supporter ne reçoit aucune garantie de la bonne utilisation de son argent, notamment en cas de politique sportive défaillante. Give in Sport fait signer une charte aux clubs participant à l’opération : « Les collectes ne seront versées que si les clubs signent une charte éthique. Le club s’engage à utiliser la collecte à des fins de conservation ou recrutement de joueurs, pour être plus compétitifs. Et expliquer aux donateurs leurs choix. Si le club se trompe, il sera punit par ses supporters qui ne contribueront pas à la collecte du mercato suivant.«
Une assurance suffisante ? Anthony Alyce pense que le fan funding pourra se développer encore mieux en levant cette barrière : « Le fait que le supporter réalise un don sans connaître la vision stratégique du club peut compliquer l’adhésion. Je pense qu’un club de foot doit être géré comme une véritable entreprise, avec un business plan sur 2-3-4 ans minimum. L’engagement « à l’aveugle » peut susciter un réel frein.«
Une avancée pour les projets de socios ?
Aujourd’hui, le discours de Boris Bergerot est très clair, le supporter n’interviendra en aucun cas dans la politique de recrutement : « La politique de recrutement reste libre pour le club. Si les supporters donnent leur avis individuellement, il n’y aura jamais d’accord et le club vivra une certaine ingérence dans ses choix. Aujourd’hui, l’objectif n’est pas que les gens mettent de l’argent pour investir sur un joueur en particulier, le club ne peut pas se sentir obligé d’acheter ou de conserver un joueur. Il n’y aura aucune obligation pour le club. Mais des comptes rendus de l’utilisation de l’argent seront fait après chaque mercato.«
Anthony Alyce pense toutefois que cela pourrait évoluer positivement pour les supporters, avec le temps : « Le modèle va tendre vers la transparence entre le club et les supporters. Des supporters qui sont toujours mis à l’écart, dans toutes les instances du football français. Ça va se faire par étapes, ce type de modèle va permettre de conférer un certain pouvoir aux supporters qui pourront intervenir indirectement sur les choix stratégiques du club. C’est un élément supplémentaire qui pourrait aller dans le sens des projets de socios.«
Finalement, Philippe Dard revient sur la campagne de crowdfunding menée par le RC Lens avec My Major Company il y a 3 ans : « Pour maintenir une tribune ouverte lors de la descente en Ligue 2, une campagne de crowdfunding visant à récupérer 200 000 € avait été lancée. A destination des supporters, avec un site internet dédié, une grosse campagne de com’, de belles contreparties…mais à peine 10 000 € avaient été collecté après 2 mois de campagne. Qu’est ce qui fait que ce modèle peut marcher aujourd’hui ?«
C’est Anthony Alyce qui apporte sa réponse : « Le marché devient plus mature qu’il y a 3 ans. La campagne vise à récupérer de l’argent pour un mercato, l’intérêt peut plus mobiliser que l’ouverture d’une tribune. » Avant de conclure sur la campagne lancée par l’AC Ajaccio : « Je pense sincèrement que l’AC Ajaccio démarre cette initiative pour donner de la légitimité et de la cohérence à sa stratégie de rapprochement avec ses supporters, les fonds récoltés permettront tout au plus de faire un renouvellement de contrat.«
Avant la conclusion de Boris Bergerot : « Il n’existait pas jusqu’à l’arrivée de Give in Sport, de site de crowdfunding dédié au sport professionnel. La campagne du RC Lens a eu lieu sur une plateforme de projets musicaux (!) et donc l’audience n’était logiquement pas au rendez-vous pour soutenir cette initiative. »
Un rendez-vous d’un nouveau genre entre entités et supporters, c’est tout le mal qu’on souhaite au club corse et aux autres de Ligue 2 qui se lanceront dans le fan funding.
Pour suivre l’actualité économique de la Ligue 2 : www.ecofoot.fr